Yoram Rosilio & the Anti Rubber Brain Factory
Autoproduction
ARBF & Hmadcha : ces deux noms ne vous disent rien ?
ARBF : non pas "Association pour le Replacement de Bouledogues Français" (ça existe !) mais Anti Rubber Brain Factory, "une nébuleuse d'expérimentation sonore qui lutte contre le formatage des cerveaux", dirigée par Yoram Rosilio.
La confrérie marocaine des Hmadcha, quant à elle, "a
été fondée vers la fin du 17e siècle par Sidi Ali Ben Hamdouch,
originaire de la région de Meknès, au Maroc, et contemporain du grand
sultan Moulay Ismaël. Elle s’inscrit dans la tradition dite du soufisme
populaire, où l’on cherche à établir une relation directe avec Dieu par
la transe extatique."
Encore une musique fusion entre Jazz et
World Music, diriez-vous ? Ce type de démarche est très souvent
décevante, même s'il y a quelques exceptions, comme chez Zorn, dans
"Masada".
Quelle urgence, alors, y a-t-il à "fusionner" avec cette
musique du Maroc ? Cette terre, un des points de départ de la traite des
noirs, aurait-elle influencée les ancêtres des jazzmen ? Peut-être ...
Donc, beaucoup de réserves a priori.
Mais s'agit-il là de fusion ?
Cet enregistrement d'un concert donné à Essaouira en février 2011 tranche.
Dans
les trois premières pistes, nous assistons à des glissements
surprenants entre musique traditionnelle et free jazz, comme si la
liberté débridée des années 70 aux USA resurgissait au Maroc de nos
jours, sous d'autres couleurs.
Musique Hmadcha authentique, abrupte
dans son dénument et dans son encrage dans les profondeurs de
l'histoire. Free Jazz d'exubérance libérée.
Pas de discours
parallèles ni de fusion alla "embrassons-nous-Folleville", mais une
oscillation où l'on passe insensiblement d'un univers à un autre, les
proximités a priori improbables se révélant aveuglantes. Et même si,
comme pour moi, il vous faire l'effort d'écouter cette musique d'un
Maroc des profondeurs, ce disque là bouscule, séduit les plus exigeants.
Il y avait là des pépites à dénicher, et Yoram Rosilio a eu
l'intelligence du coeur de les chercher.
Le 4eme et dernier
morceau couvre plus de la moitié du disque, et en constitue la pièce
maîtresse. 25 minutes d'un glissement progressif des rythmes, de
l'instrumentation, des couleurs. Après une première partie plutôt
traditionnelle et austère, avec des voix qui psalmodient en choeur,
inlassablement, place est donnée aux gheïtas (sorte de hautbois) et aux
instruments de l'univers du jazz. Une musique peut-être moins répétitive
que circulaire. Par raideur rationaliste, on se retient de céder à la
transe, mais son authenticité ne laisse pas indifférent. Les réserves
occidentales sont bousculées. Le FreeJazz révèle ici l'une de ses
influences profondes. Il n'est d'autre choix que laisser cette pièce
nous déconcerter, nous envahir, nous mettre sous désinhibiteur, voire
sous narcotique. On en sort complètement "sonné".
Une réussite.